Accords sur le télétravail : égalité professionnelle femmes / hommes

mardi 16 février 2021

Tour d’horizon des points de vigilance à prendre en compte pour que le télétravail soit vécu par toutes et tous comme une amélioration de la Qualité de Vie au Travail.

Télétravail et femmes - 3

La crise sanitaire actuelle conduit de très nombreuses entreprises à revoir leur politique RH sur le télétravail. Que vous prévoyiez de négocier un premier accord ou de modifier vos dispositions actuelles, nous vous invitons à une réflexion sur les contraintes et les opportunités particulières que le télétravail peut représenter pour les femmes. 

Difficultés à établir des frontières entre vie familiale et vie professionnelle à domicile, sentiment de culpabilité, surinvestissement et horaires à rallonge… Mais aussi, meilleur équilibre de vie, temps de trajets réduit, spécificités du leadership féminin adaptées au management à distance, etc.

Isabelle Chave, dirigeante de AirH Conseil, spécialiste du leadership au féminin et Pascale Breton, directrice du Pôle Conseil de Prévia font un tour d’horizon des points de vigilance à prendre en compte pour que le télétravail soit vécu par toutes et tous comme une amélioration de la Qualité de Vie au Travail.

Nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement aux femmes en télétravail car il est apparu très clairement pendant cette crise que des disparités pouvaient apparaître, parfois importantes, entre les femmes et les hommes télétravailleurs…  Nous allons parler de ce qui - pour certaines d’entre elles en tous cas - est plus compliqué à gérer et nous verrons qu’il est important d’en tenir compte dans vos accords pour préserver l’équilibre entre les femmes et les hommes.

 

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Isabelle Chave dirige le cabinet AirH conseil et fait partie du réseau de partenaires Prévia, elle conseille les entreprises dans leur politique RH. De formation de coach, elle s’est spécialisée dans le leadership au féminin, c’est pour cela que nous sommes particulièrement ravis d’avoir pu l’interviewer.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, évitons les stéréotypes : Lorsque nous parlons des femmes dans cet article, nous parlons de situations que nos experts constatent très souvent mais nous sommes parfaitement conscientes et conscients qu’il y a aussi des femmes pour lesquelles la situation est bien différente.

 

Nous venons de vivre une expérience « hors normes » avec une utilisation sans précédent du télétravail. Les chiffres parlent d’eux-mêmes… Isabelle, que peux-tu nous dire à ce sujet ?

En effet, la situation que nous vivons en ce moment est exceptionnelle.

  • Par son ampleur déjà : A fin mars, 1 salarié sur 4 était en télétravail, ce qui représente environ 7 millions de salariés (d’après le ministère du travail).
  • Elle est aussi exceptionnelle par ses conditions du télétravail à la maison, avec conjoint et parfois enfants lors du premier confinement, une raréfaction des sorties, la peur liée à une pandémie que la majorité des humains n’avaient jamais vécue.

 

Pour commencer, et nous l’avons déjà évoqué précédemment, il est important de ne pas confondre « télétravail » avec « confinement-travail-à-la-maison-avec-toute-la-famille ».

Malgré ce contexte, le confinement a prouvé que le travail pouvait être réalisé à distance, dans de très nombreux métiers. Des barrières sont tombées et les contraintes et avantages du télétravail sont aujourd’hui mieux connus.

Faisons un tour de situation du télétravail en France avant la pandémie :

  • Le télétravail n‘est pas nouveau, la loi sur le télétravail existe depuis 2012 (loi Warsmann du 22/03/2012)
  • ¼ des télétravailleurs le faisait dans le cadre d’un accord collectif
  • 11% télétravaillaient de façon régulière, majoritairement des cadres de grands groupes
  • 1/3 des employeurs n’étaient pas favorable au télétravail et beaucoup de managers non plus

 

Sans mentionner les nombreux changements de ces dernières décennies dans l’organisation du travail : le décloisonnement physique avec les open-space, les Flex office, le nomadisme et, plus récemment, l’intégration d’écosystèmes comme des incubateurs dans les organisations. 

 

Que de bouleversements à prendre en compte dans la façon de travailler et de manager !

 

Quel bilan peut-on tirer du télétravail pendant ces périodes très particulière du confinement ?

Le télétravail est très certainement une aubaine pour assurer la continuité de l’activité du côté des entreprises mais pour les salaries le bilan est mitigé.

Télétravail et femmes - 1

  • ­44% des salariés en télétravail sont en détresse psychologique :

- Détresse psychologique modérée : 27% d’entre eux (22% de femmes et 14% d’hommes)

- Détresse psychologique élevée : 18% des sondés (22% des femmes et 14% des hommes)

               

  • 62% des néo-télétravailleurs comptent bien travailler plus souvent à domicile
  • 45% des télétravailleurs peuvent s’isoler dans leur logement
  • 25% ont une pièce fermée pour travailler

 

Selon une étude menée par Opinionway pendant la deuxième et la troisième semaine du 1er confinement, sur un échantillon représentatif de 2 000 personnes :

  • 44% des salariés en télétravail se disent en détresse psychologique. Une détresse modérée pour le plus grand nombre, 27% d’entre eux, mais une détresse élevée pour une part non négligeable, 18% des sondés.

Ce qui nous amène au sujet des femmes car, selon le cabinet Empreinte Humaine qui a construit le questionnaire, les femmes sont plus exposées que les hommes:

  • 22% d’entre elles sont en détresse élevée, contre 14% des hommes.

Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées au risque de détresse psychologique ? Dans de nombreux cas, c’est sur elles que reposent, en plus des visioconférences et du travail sur ordinateur, les responsabilités parentales et l’entretien du foyer. Ce cumul des rôles alourdit la charge mentale des femmes.

 

Cette étude met aussi en lumière les conditions de travail des personnes confinées à leur domicile : seuls 45% des travailleurs interrogés peuvent s’isoler dans leur logement, et 60% d’entre eux travaillent dans leur salon. Seulement 25% disposent d’une pièce fermée, une chambre par exemple, transformée en espace de télétravail.

 

Pour Jean-Pierre Brun, le cofondateur du cabinet de conseil qui a mené cette étude, "ça n’est pas le télétravail en soi qui est un facteur de risque, ce sont les conditions dans lesquelles il s’effectue qui présentent des facteurs aggravants pour les salariés."

Et pour autant, toujours selon la même étude et après 4 semaines de confinement, cela n’a pas beaucoup changé : 62% des néo-télétravailleurs comptent bien travailler plus souvent à domicile à l’avenir.

 

Pour revenir à notre focus sur les femmes, nous l’avons compris, cette étude souligne qu’elles sont plus exposées au risque de détresse psychologique que les hommes.

 

Quel est ton avis d’expert, toi qui a aussi été DRH avant d’accompagner les femmes ?

Le télétravail présente trois difficultés majeures qui sont souvent remontées au travers des enquêtes effectuées depuis le déconfinement et qui affectent davantage les femmes que les hommes :

  1. BLURRING : La première c’est-ce que les anglo saxons appellent le blurring (traduction= le flou) : en effet, le travail s’invite à la maison alors il y a effacement des frontières (spatiales et temporelles) entre vie pro et vie privée. C’est d’autant plus difficile à faire pour les femmes encore très impliquées dans les tâches liées à la vie quotidienne de la famille et de la maison. Ce mélange des sphères génère du stress et une confusion d’identité.
  2. BURN-OUT : Le second risque c’est le burn-out, tous les collaborateurs ont dit avoir travaillé plus. Surtout au début, car la journée n’a pas de limites claires données par l’extérieur. Le risque est de se charger encore plus de tâches, surtout si on ne sait pas dire non et si on a tendance à se dévaloriser (ces phénomènes sont plus majoritairement féminins que masculins).
  3. CULPABILITÉ : Le télétravail génère aussi de la culpabilité. Le fait d’être au travail suffit parfois pour se sentir surveillé, à la maison il faut prouver qu’on travaille en étant connecté. Et le sentiment de culpabilité est beaucoup rencontré chez les femmes !

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Est-ce que cela ne fait pas un peu « cliché » au 21ième siècle ?

Je comprends que cela puisse apparaitre comme un cliché car nous avons fait d’énormes progrès depuis la 1ere loi sur l’égalité professionnelle. C’était la loi Roudy en 1983.

Mais il a quand même fallu attendre 2012, soit presque 30 ans, pour que soit promulgué le décret relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle et que soit renforcées les pénalités aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations.

Il faudra bien plus de temps aux stéréotypes et aux normes sociales pour changer. Or ce sont ces normes qui construisent les identités masculines et féminines et qui impactent très fortement les comportements dans la vie au quotidien.  En entreprise comme à la maison.

 

5 préconisations favorisant l’équité homme/femme en entreprise

J’ai été DRH pendant de longues années et je souhaite aujourd’hui partager le type de préconisations que nous faisions et qui figurent encore dans les politiques RH ou les chartes favorisant l’équité homme/femme.

  1. Ne pas faire l’hypothèse que les enfants sont la responsabilité unique des femmes
  2. Respectez le temps de vos équipes, facilitez le télétravail et les horaires flexibles
  3. Faites la chasse au présentéisme, mesurez les résultats
  4. Au-delà du télétravail, mettez en place tout ce qui peut simplifier la vie de vos équipes
  5. Occupez-vous systématiquement du conjoint en cas de mutation

On remarque que le télétravail est clairement cité comme facilitant l’égalité professionnelle.

 

Quels sont les freins intrinsèques qui pénalisent les femmes qui veulent mener de front travail et vie de famille ?

Avant de répondre à cette question, je voudrais d’abord préciser qu’hommes et femmes sont différents, ne serait-ce qu’en terme de constitution physique, physiologique en particulier au moment de la maternité.

La différence fait la richesse et il ne s’agira jamais de gommer ces différences évidentes. Une femme a souvent envie de consacrer du temps à son bébé, parfois plus qu’un homme. Il faut le permettre sans que ce soit impactant dans la trajectoire de carrière.

 

  • Cela étant posé, le 1er frein est le regard social négatif lorsque les femmes expriment leur investissement professionnel. 

Quand une jeune diplômée se demande : « vais-je devoir renoncer à ma carrière pour être une bonne mère ? », croyez-vous que beaucoup de ses camarades de promotions masculins se posent de telles questions ?

Il y a aussi des freins tels que :

  • Le sentiment d’infériorité, de ne pas être à la hauteur du modèle hiérarchique masculin (plus guerrier et basé sur la force) qui engendre le fameux syndrome de l’imposteur
  • La culpabilité de ne pas pouvoir assurer sur les 2 plans, au travail et à la maison, et qui entraine souvent un surinvestissement des femmes au travail, une incapacité à poser des limites et à s’occuper d’elles-mêmes. Ce qui les rend plus vulnérables au burn-out et au blurring.

 

On a parlé des freins mais, à contrario, est-ce que ce changement de culture d’entreprise et aussi de rapport au travail, au-delà même de ce nouveau mode d’organisation du travail, ne présente pas aussi des opportunités pour les femmes ?

En effet, dans les changements il y a des risques mais aussi des opportunités !

Ce qui ressort en premier est que le télétravail apporte pour tout le monde plus de confort, notamment grâce au gain de temps dans les transports.

Mais au-delà de ce gain, je dirais que la principale opportunité offerte aux femmes par le développement du télétravail est justement la fin de la domination de la culture du présentiel et du contrôle issu du taylorisme, qui sont encore très présents dans la majorité de nos organisations.

 

J’aimerais à ce sujet vous partager une anecdote datant du début de ma carrière au milieu des années 90 dans le monde de la banque.

Chaque soir à 18h, la presse était distribuée dans les bureaux. Célibataire, je terminai assez tard et j’étais frappée de voir tous les hommes cadres lire le journal à leur bureau. Leurs homologues féminins étaient déjà parties. Quand je les questionnai sur l’intérêt d’être encore là pour faire quelque chose qu’ils pourraient faire chez eux, ils me répondaient « oh non, à cette heure à la maison c’est le rush du bain et du dîner, je ne serai pas tranquille. Et puis le soir au bureau on peut voir passer le directeur… pas vu, pas promu ! » .

Bien sûr, vous me direz que c’était il y a 20 ans et dans le monde assez machiste de la finance, mais, quelle femme n’a pas vécu le regard pesant de son (ou même de sa) manager au moment de filer en fin de journée. Les « tu as pris ton après-midi ? » ou « elle a des enfants, on ne peut pas compter sur elle pour être là avant 9h » sont encore, hélas, trop fréquents.

Interdire les réunions en fin de journée ne coule pas sous le sens puisqu’il faut souvent le lister comme une bonne pratique ou le glisser dans une charte d’égalité. Sans parler des séminaires qui démarrent le dimanche après-midi ou des voyages fréquents qui font encore trop souvent hésiter les femmes à accepter certaines promotions.

Le travail à distance - chez soi ou dans des espaces proches de son domicile - en économisant le temps de transport et en nous affranchissant du regard hiérarchique, offre une opportunité aux femmes de mieux concilier vie privée et vie professionnelle.

 

Ces aspirations ne sont-elles pas aussi celles des hommes ? Notamment des nouvelles générations ?

C’est exact, il y a certainement des hommes qui nous écoutent et qui ont aussi envie de profiter davantage de leurs enfants ou de leur vie en dehors du travail. De plus, ne résumons pas la problématique de la mixité à celle de la parentalité. Les difficultés concernent aussi les femmes qui n’ont pas d’enfant, aujourd’hui encore, il est moins facile d’évoluer dans la sphère professionnelle pour une femme que pour un homme

La fin de la culture du présentéisme et l’instauration du management par objectifs permettra de transformer le regard des organisations sur ce qui fait la valeur ajoutée du travail.

Le temps qu’on y passe ou le résultat ?  Si c’est sur le résultat, il n’y a plus de problème de durée.

 

Le présentéisme va de pair avec la culture du contrôle. Par quoi faut-il remplacer cette culture du présentéisme ?

Accorder davantage d’autonomie. Surtout dans la façon de s’organiser pour atteindre les objectifs, sans aller forcément jusqu’à l’entreprise libérée.

 

Est-ce que le télétravail présente d’autres opportunités pour les femmes ?

Le télétravail nous oblige à repenser nos liens et à manager autrement pour pallier la perte de contacts physiques, le risque de désocialisation.

On attend d’un manager à distance d’autres types de compétences : plus relationnelles, émotionnelles, les fameuses soft-skills.

Citons les plus utiles lorsque l’on est pas en présentiel (que l’on soit manager ou non) :

  • L’écoute
  • L’empathie qui permet de repérer les signaux faibles si quelqu’un ne va pas bien et c’est plus difficile à distance
  • La capacité à créer du lien, être dans la relation
  • A exprimer et respecter les émotions
  • Faire confiance plutôt que contrôler
  • S’arrimer au concret
  • Capacité à coopérer
  • Exprimer des doutes, faire preuve d’humilité, solliciter des avis

Ce sont des valeurs du féminin que bien entendu les hommes ont mais qui sont plus développées chez les femmes.

J’ai envie de dire aux organisations, profitons de cette aubaine du télétravail pour repenser un mode de leadership souvent trop « masculin » et l’équilibrer avec les valeurs du féminin

Ce sont de ces valeurs dont nous et nos organisations avons besoin aujourd’hui pour bien télétravailler, mais aussi aborder les crises et les transformations.

 

En conclusion, quels conseils donnerais-tu aux entreprises et aux drh qui nous écoutent dans les négociations ou renégociations d’accords qui vont avoir lieu ou qui ont déjà démarré ?

Tout d’abord placer cet accord dans un cadre plus large et le saisir comme une opportunité d’une réflexion sur de l’organisation du travail, les modes managériaux, les valeurs de l’entreprise. Quels objectifs veut-on poursuivre en instaurant plus largement le télétravail ? Quelles opportunités cela représente pour notre entreprise ?

 

Ensuite veiller à prévenir les risques évoqués plus haut : blurring, burn-out, équité professionnelle femmes/hommes, et pour cela :

  • Être clair dans votre discours : le télétravail est avant tout une modalité de travail et non pas une opportunité faite aux femmes pour gérer leurs enfants
  • Poser des règles claires sur les limites : Dans le temps et dans l’espace. Télétravailler, oui, mais pas chez soi, plutôt dans des espaces de coworking par exemple.

 

Prévoir une mesure et un suivi à la fois d’indicateurs RPS et de mixité professionnelle.

Et enfin, faire un bilan périodique du télétravail au sein de votre organisation pour effectuer les ajustements si nécessaire.

 

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